jeudi 4 juin 2009

Le conseil de discipline




La séquence du conseil de discipline, à 1h45 minutes du début du film, est le point d’acmé de cette narration. Construite en 41 plans, elle dure huit minutes . Le statut particulier de cette séquence est tout d’abord décelable dans le traitement de l’image. Ensuite les enjeux de cette scène sont particulièrement forts. Et enfin, c’est le moment où le film s’éloigne le plus de la « vérité documentaire » qu’on lui a d’emblée attribuée.
Les plans sont plus longs que dans le reste du film (en moyenne entre 5 et dix secondes). Ainsi le premier plan de la séquence qui commence sur le décor du CDI aménagé théâtralement en petit tribunal pour l’occasion, dans lequel les personnages vont entrer un à un, s’étire sur une minute. Les derniers plans de la séquence (la deuxième tirade de la mère, le vote, l’attente de la sanction, et l’annonce de l’exclusion) durent entre 20 et 30 secondes chacun. Dans ces plans, la caméra portée à l’épaule est davantage perceptible. Elle suit les différents personnages. Le montage des champs et contre-champs est aussi différent. Tantôt frontal (plans 1 à 4, ou plans 6 à 9 par exemple), et constitué de plans rapprochés ou très rapprochés sur les visages. Tantôt de biais avec une partie de l’écran masquée par la tête de Souleymane (plans 5, 10, 12 et 32). Dans ces derniers plans les regards à Souleymane sont de manière troublante presque des regards caméra. L’impression d’assister à un match de tennis qu’on avait dans les scènes de classe a totalement disparu. La circulation des regards est extrêmement différente. Elle est plus mouvante, et plus ambiguë. Ainsi le regard renfrogné de Souleymane au plan 6 peut s’adresser à François (plan 5), ou au principal (plan 7), ou mêm à nous spectateurs. Les champs et contre-champs de la séquence sont en fait plus théâtraux que dans le reste du film. Chaque plan est lié à un autre par un regard. Seul le plan 34, celui de la deuxième tirade de la mère, où l’on voit Souleymane et sa mère de profil, n’est connecté à aucun autre regard que celui du cinéaste, qui finalement ici à la fin de la séquence, se place résolument du côté des exclus.
L’enjeu de cette scène est en fait l’enjeu du film : montrer à l’œuvre le mécanisme de l’exclusion sociale. Nous assistons ici à un véritable tribunal blanc en train d’exclure un garçon noir. La gêne est perceptible sur tous les visages, et particulièrement sur celui de François (plans10, 12, 26, 32 et 40b). Aucun des « juges » ne semble à l’aise ou content d’avoir à faire ce travail, et à prendre cette décision. Pourtant la sanction tombe, inéluctable, donnant raison à Esméralda et Khoumba qui avaient annoncé que tout était joué d’avance. Le processus du conseil de discipline est objectivement cruel. Pourtant personne, ni François ni aucun autre personnage ne l’est. Ce qui en résulte est une gêne. La gêne d’accomplir son rôle social. Le processus de justice mis en place par l’institution scolaire est implacablement cruel. Pourtant chacun des acteurs de l’institution y met le plus d’humanité possible, en essayant de comprendre, de discuter, de rattraper l’élève mis en cause. Mais s’agit-il vraiment de rendre le processus plus humain, ou bien de le faire admettre à Souleymane et sa mère ? L’ambiguïté reste entière.
Le plan 41 est à cet égard symbolique. Souleymane et sa mère traversent une dernière fois la cour du collège. Nous ne les reverrons plus jamais à l’écran.
Enfin, même si le conseil de discipline est restitué avec une grande précision documentaire (le lieu, la disposition des tables, l’état d’esprit des personnages, la procédure, les parties présentes, les façons de s’exprimer de chacun), il n’en reste pas moins la scène du film qui prend le plus de liberté avec cette vérité documentaire. Dans un véritable conseil de discipline en effet, il y aurait eu un interprète neutre, et le professeur mis en cause n’aurait probablement pas siégé. Mais la narration exigeait que Souleymane subisse l’humiliation subtile et suprême de traduire les deux tirades de sa propre mère prenant sa défense. Etre contraint de traduire « Elle dit que je suis un bon garçon » et « Elle demande pardon de ma part » constitue pour le « petit dur » le summum de la honte, thème cher à Cantet. Pour des raisons de scénario et de puissance cinématographique, il fallait que François assiste et participe à ce qu’il ne veut pas, c’est-à-dire à l’échec du système scolaire. Le cinéma gagne ici à mentir un tout petit peu avec la vraisemblance.

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