vendredi 10 avril 2009

Documentaire et fiction

Les termes de fiction et de documentaire sont utilisés pour désigner et catégoriser les films. On utilise le mot « fiction » pour désigner les films qui relèvent plutôt de l’imagination. Il vient du mot latin fictus qui signifie « inventé ». Le mot « documentaire » désigne les films qui relèvent du réel. Il vient du latin documentum (enseignement, leçon, modèle, preuve), mot dérivé du verbe docere (instruire).
Le Dictionnaire théorique et critique nous dit en effet qu’ « est fiction tout ce qui est inventé, à titre de simulacre ». Si des éléments non fictifs se trouvent dans une fiction, ils y sont en effet détournés. Ainsi les immeubles de Toronto – qui sont non fictifs – se trouvent, pour des raisons de facilités de tournage, dans plusieurs films comme figurants des immeubles de New York, lieu choisi pour nombre de fictions américaines. Le même dictionnaire explique qu’ « on appelle documentaire un montage cinématographique d’images visuelles et sonores données comme réelles et non fictives. » D’emblée ces deux définitions opposent donc point par point la fiction que l’on placera du côté de l’invention, du non réel, voire du mensonge, et le documentaire que l’on placera du côté du réel, de la vie, voire de la vérité.
Dans cet esprit d’opposition de genres, on peut concevoir les films de fiction comme venant à la suite des ouvrages littéraires dits aussi de fiction, c’est-à-dire, le roman, les poèmes épiques, les contes, les fables, … Dans ces ouvrages un pacte tacite est passé avec le lecteur qui s’engage à prendre pour sérieux et vraisemblable ce qui lui est proposé, tout en sachant que cela est faux. Quant aux films documentaires, ils relèveraient plutôt de la connaissance scientifique et de sa transmission. Dans ce raisonnement la fiction serait davantage du côté de la littérature, de l’art. Et le documentaire du côté du savoir, de la pédagogie, mais aussi résolument du côté du cinéma, car, contrairement au mot « fiction », le nom « documentaire », désigne exclusivement une œuvre audiovisuelle (de cinéma ou de télévision).
En outre, cette division fiction- documentaire remonte aux origines du cinéma, les films de Méliès étant considérés comme les premières fictions, et ceux des frères Lumière comme les premiers documentaires. Elle s’appuie sur le rapport des films au réel, à la réalité de la vie.

Cependant qu’ils soient documentaires ou fictions, tous les films passent par le même signifiant, par le même dispositif de projection sur un écran. Cet écran que le spectateur affronte n’est pas la réalité, mais ce que Guy Gauthier appelle « un univers de formes et de couleurs en mouvement » qui nécessite pour le confort du spectateur une baisse de vigilance. Cette baisse de vigilance, que Gauthier désigne par « un sentiment d’être ailleurs » , est parfaitement compatible avec la fiction qui n’a à justifier de rien en dehors de l’univers créé par le film. Par contre, le documentaire doit rendre des comptes constamment sur la réalité de son sujet, son référent.

Les frontières entre fiction et documentaire sont lâches et poreuses. Le film de fiction peut utiliser des images d’archives. Le film documentaire peut utiliser les codes narratifs de la fiction (montage, mouvements de caméra, angles de prises de vue, cadrages, musique). La fiction se base presque toujours en partie sur des éléments de la vie réelle : les rues parisiennes de A bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard sont bien réelles en 1960 par exemple. Le documentaire peut user de reconstitutions, faire jouer ceux qu’il filme, comme le fit dès 1922 Robert Flaherty dans Nanouk L’Esquimau. Penser le documentaire comme un genre garant d’une reproduction objective et fidèle de la réalité est un mensonge aussi pieu que considérer la fiction sans lien avec la réalité.

Chercher à définir ce qui différencie fiction et documentaire finit par montrer les ambiguïtés et les limites de la notion de genre. Plutôt qu’un genre, le documentaire est un propos, celui de renseigner. Plutôt qu’un genre, la fiction est une posture de cinéaste, celle d’emporter le spectateur dans un récit. Ce qui distingue le documentaire de la fiction, ce n’est ni le sujet, ni le contenu, ni la quantité d’informations exactes. Ce qui les distingue, Guy Gauthier l’affirme avec raison, « c’est une question de méthode » . Reprenons ici les trois points de cette méthode qui caractérise le documentaire selon Guy Gauthier : dans le film documentaire, tout d’abord, chaque personnage interprète son propre rôle ; ensuite, les décors sont réels, et non détournés ; enfin, il n’y a pas d’intrigue romanesque, c’est-à-dire étrangère à l’expérience vécue par l’équipe de tournage.
Une fois cette méthode établie on comprend mieux d’une part que ELM ait prêté parfois à confusion dans son propos, car l’école est un sujet éminemment documentaire, les informations apportées par le film sur le fonctionnement scolaire sont précises et abondantes comme on en attend des informations apportées par un documentaire. On comprend mieux d’autre part pourquoi il est erroné de prendre le film pour un documentaire, puisque la méthode d’ELM ne correspond à aucun des trois points de la méthode documentaire : les acteurs, même s’ils sont non professionnels et proches de la réalité de leurs personnages, incarnent des personnages créés de toutes pièces ; les décors sont bien réellement un collège, mais il ne s’agit pas du collège Dolto, dont sont issus les acteurs, et auxquels les personnages se réfèrent à plusieurs reprises dans le film ; enfin le film est entièrement écrit, même si le tournage a laissé une certaine place à l’improvisation.

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