vendredi 10 avril 2009

Relation au réel dans l’œuvre de Cantet

La relation de l’œuvre de Laurent Cantet au réel est forte. Pour chacun de ses films il explore des phénomènes différents, choisis dans l’actualité contemporaine : les manifestations des lycéens de 1995 dans Tous à la manif, le rituel du passage à l’an 2000 dans Les Sanguinaires, le passage aux 35 heures dans Ressources humaines, le chômage des cadres dans L’Emploi du temps, le tourisme sexuel dans Vers le Sud, et l’univers scolaire dans ELM. Il a pour habitude de consacrer du temps à l’exploration de ces réalités, longtemps avant de commencer le tournage, un peu à la manière d’un ethnologue. Cette exploration correspond souvent pour lui en partie à la phase du casting pour laquelle il aime prendre son temps : deux mois pour les Sanguinaires, six mois pour Ressources Humaines et pour L’emploi du temps, un an pour Entre les murs. Aimant à travailler avec des acteurs non professionnels proches de la réalité sociale de leurs personnages, il utilise la phase du casting pour confirmer on non ses hypothèses sur la réalité sociale du sujet de son film et modifier son scénario. Ainsi pour Ressources humaines, il profite du casting pour échanger beaucoup avec des ouvriers, des délégués syndicaux. Et pour ELM, il prend une année scolaire entière pour rencontrer élèves, professeurs et autres personnels d’un collège. « Les amateurs apportent avec eux un bloc de réel que le film est obligé de prendre en compte et qui l’enrichit, déclare-t-il. »

Laurent Cantet s’est exprimé sur la relation de ses films au réel. Elle vient d’abord de sa formation de cinéphile et de cinéaste : « Certains cinéastes comme Roberto Rossellini ou Maurice Pialat m’ont aidé à comprendre comment raconter des histoires, surtout dans leur volonté d’être en phase avec leur temps. A travers mes films j’ai envie de donner des nouvelles du monde dans lequel on vit. »
Il s’agit pour lui de rendre compte du monde dans lequel nous vivons, de questionner la réalité, plus que de délivrer un message ou s’engager dans des discours militants : « Je ne cherche pas à faire des pamphlets. Je me sens très impliqué dans tout ce qui se passe autour de moi. Et chaque film est une manière de poser des questions, d’ouvrir le débat. »
« Je n’ai jamais été militant à proprement parler. J’ai toujours eu envie de comprendre ce qui se passait autour de moi, une espèce d’empathie avec le monde, sans avoir des convictions assez arrêtées pour m’engager au sens propre du terme. »
Et si les personnages des films de Cantet nous paraissent plus vrais que nature, c’est parce qu’ils n’hésitent pas à nous les présenter avec leurs contradictions. François Marin est un professeur de qualité, mais qui commet de lourdes maladresses. Khoumba est une élève malicieuse et intelligente, mais qui franchit aussi les limites de l’insolence. « On est parfois trop timide dans l’écriture des scénarios par rapport à la réalité. Les personnages sont souvent trop cohérents, construits. Alors qu’on passe tous par des choses totalement opposées. Chacun peut être d’une douceur totale, puis péter les plombs, être sympathique, puis de mauvaise foi. Cette richesse humaine est souvent tellement simplifiée. L’incohérence est humaine. »
Chez Cantet, le travail sur la réalité est quasi scientifique, proche d’un travail sociologique. Le résultat de ce travail produit des images cliniques, relativement froides, et très éloignées des images d’autres cinéastes, eux aussi en quête de la réalité. Je pense à Johan Van der Keuken, ou encore à Philippe Grandrieux dont les films offrent des images sensibles, plastiques, à mille lieues d’ELM.

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