vendredi 10 avril 2009

Entre les murs, fiction ou documentaire ? Raisons et conséquences d'une ambigüité

Entre les murs (ELM) est le quatrième long métrage du réalisateur français Laurent Cantet. Dès sa sortie le 24 septembre 2008, auréolé de la palme d’or du festival de Cannes – ce qui ne s’était plus produit pour un film français depuis la palme accordée à Pialat en 1987-, il provoque une série de débats sur l’état de l’éducation nationale aujourd’hui en France dans les conversations et dans l’ensemble de la presse, y compris celle qui n’est pas spécialisée dans le cinéma. Né de l’envie de tourner à l’intérieur d’un collège, lieu qui peut fonctionner comme caisse de résonance à tout ce qui se passe autour, ce film s’inspire d’un roman de François Bégaudeau[1]. Le film et le roman racontent la vie professionnelle d’un jeune professeur de français face à une classe de quatrième bigarrée et agitée d’un collège parisien. L’action couvre une année scolaire entière. Mais le film n’est pas une adaptation littéraire, car le livre de François Bégaudeau est surtout utilisé par Laurent Cantet comme source de matière documentaire. Cette matière documentaire est nécessaire pour le cinéaste, elle nourrit en effet toutes ses fictions.

Curieusement les débats suscités par le film n’ont que très peu porté sur la qualité cinématographique de l’œuvre. Ils se sont essentiellement concentrés sur la valeur de la pédagogie du personnage principal, François Marin (interprété par François Bégaudeau), sur la vérité -ou non- de l’image donnée du collège, sur l’optimisme ou le pessimisme du propos,… En bref, les débats suscités ont été de même nature que ceux suscités par la sortie de Etre et Avoir (Nicolas Philibert, 2002). C’est que dès sa sortie ce film a provoqué une ambiguïté dans sa réception : il a été d’emblée considéré davantage comme un documentaire, et jugé comme tel, que comme un œuvre de fiction, ce qu’il est en réalité.

Et Laurent Cantet assume cette ambiguïté : « Mon premier film, Tous à la manif, tout comme le dernier d’ailleurs, soulevait déjà la question : documentaire ou fiction ? Dans les deux cas j’ai travaillé de la même manière, en écrivant d’abord une trame dramatique, puis en faisant très tôt un casting et en improvisant rapidement avec les acteurs choisis autour des situations que je proposais. Ensuite, j’intègre ce travail dans le scénario… c’est un début de méthode que j’ai toujours le désir de retrouver. Ainsi que la liberté qu’elle me confère. »[2]

Cette confusion documentaire-fiction est donc le résultat de la méthode Cantet qui consiste à travailler avec des acteurs non professionnels, dans des décors réels.

Qu’est ce qui précisément produit cette confusion entre documentaire et fiction ? Entre réel et invention ? Entre vécu et narration ? Cette confusion est elle voulue par le cinéaste ? De quel type de cinéma s’inspire ELM ? A la suite de quels films vient-il ? A quel cinéma appartient-il ? Comment la fiction se nourrit du réel pour mieux questionner la réalité ? Quelles conséquences a cette ambiguïté sur la réception de l’œuvre ? Sur sa portée ? C’est à cet ensemble de questions que nous nous proposons de réfléchir dans le présent travail.



[2] Enttretien accordé à LEHERPEUR Xavier, « Laurent Cantet La classe internationale », pour Ciné Live n°127, p. 60 et 61, octobre 2008.

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