mercredi 13 mai 2009

à la suite d’autres films sur l’école





ELM vient à la suite d’un certains nombre de films dont le sujet principal est le milieu scolaire. En fait les cinéastes ont très souvent pris comme décor le milieu scolaire, comme lieu évident de rencontres des personnages d’une intrigue. Un certain nombre aussi en ont fait le thème ou le sujet principalement abordé dans leur film. D’emblée nous éliminerons les reconstitutions historiques d’une école du passé telle qu’on peut la voir dans les Choristes (Christophe Barratier, 2004), ou les Hauts murs (Christian Faure, France, 2008), parce que ces représentations n’ont rien a voir avec les questionnements sur la société contemporaine de Laurent Cantet.
Nous éliminerons aussi les comédies burlesques qui ont pour cadre le collège, le lycée ou la fac, tels que la série des Américan Pie, et en France les P.R.OF.S (Patrick Schulmann,1985) et autres Sous doués (Claude Zidi, 1980), parce que dans ces films l’école est réduit à un décor point de rencontre évident entre les personnages, et ne constitue pas un sujet comme dans ELM. Rares en effet sont les films qui ont pour sujet l’école, sûrement parce que ce sujet à priori ne semble pas passionnant, connu de tous, et ne contenant pas en lui beaucoup de possibilités de surprises narratives.
Retenons ici cependant quelques films qui ont évoqué le sujet de l’école, sans se contenter de l’effleurer.
Dans Zéro de conduite, Jean Vigo nous présente la vie d’un collège de 1933, avec ses chahuts, et ses punitions. A l’enthousiasme et l’insouciance désordonnée et légère des collégiens répond la sévérité implacable, pesante, oppressante des enseignants montrés sous un jour grotesque, voire ambigu et malsain. A la fois film poétique sur l’enfance, et à la fois film de révolte, Zéro de conduite montre l’école comme un endroit où la prétention, l’incompétence, le sadisme des adultes légitime la rébellion des enfants. Malgré l’aspect documentaire des premières séquences, le trait est forcé. Il ne s’agit pas de présenter des personnages tels qu’on en trouve dans les internats de 1933, mais plutôt de montrer un autoritarisme inacceptable, et la libération et l’émancipation que provoque la révolte collective contre ce qui est ressenti comme inacceptable.
Prenons la séquence du cours de chimie lors de laquelle Viot, le corpulent et transpirant enseignant, caresse le blond et frêle Tabard. Les plans nous montrent le corps de Viot écrasé par la plongée, ayant du mal à se mouvoir, dont la lenteur des gestes, indifférent aux regards des élèves qui, pour lui, n’existent pas, indique le pouvoir absolu. Ils nous montrent le corps de Tabard, au milieu de ses semblables, aux genoux et cuisses dénudés, la tête entre les mains, renfrogné d’avoir subi la caresse de la main de son professeur dans les cheveux. Puis, après l’insert de la grosse main de Viot posée sur celle de Tabard et la caressant, qui nous fait toucher l’insupportable de ce geste, et l’abus de pouvoir qu’il implique, nous retrouvons dans un même plan et face à face les deux corps de l’enseignant et de l’élève qui s’affrontent. Ce plan d’affrontement réunit le professeur et l’élève. Le premier est penché vers le pupitre. Sa silhouette massive est dédoublée d’une part par l’imposante masse sombre de la chaire professorale qui apparaît au premier plan à gauche et souligne son autorité, et d’autre part par la présence d’un squelette qui souligne ses pulsions mortifères. Le second se dresse furieusement en lançant son désormais célèbre : « Eh ben moi je vous dis… je vous dis : merde ! »
Ce plan d’affrontement exprime le pouvoir absolu, insupportable, et qu’il faut faire basculer. Le propos de Jean Vigo est de nous montrer le pouvoir libérateur de la révolte quand elle est collective, et contre quelque chose ressentie comme intolérable (l’autorité absurde de quelques-uns). Les affrontements professeur – élèves sont aussi nombreux dans ELM, mais ils sont d’un autre ordre. Il s’agit de laisser s’exprimer toutes les paroles, et de jouer le jeu de quelque chose qui ressemble à la démocratie. Et d’ailleurs Cantet ne réunira jamais dans un seul plan les deux parties qui s’affrontent, évitant ainsi de charger de symboles une image réunissant le pouvoir et la soumission, préférant faire alterner des plans brefs et cadrés assez serrés sur les différents protagonistes. Chez Vigo, le pouvoir montré est abusif, chez Cantet il se remet sans cesse en question.




L’école est aussi au centre de Graine de violence (Richard Brook, Etats-Unis, 1955). Ce film met en scène les rapports compliqués d’un professeur d’anglais et des élèves d’un centre professionnel. Il sera le premier d’une longue série sur le système éducatif américain, dont Le cercle des poètes disparus (Peter Weir, 1990) ou Elephant (Gus Van Sant, 2003, palme d’or à Cannes) en sont des exemples.

En Grande Bretagne, If, de Lindsay Anderson (1968) montre trois étudiants en uniforme qui à la fête de fin d’année, en guise de confettis, jettent des grenades, mitraillettes au poing, tirant sur les enseignants et les représentants de l’ordre présents (en hommage à la scène de la fête de Zéro de Conduite de Jean Vigo). Ce sera aussi un film auquel le jury de cannes attribuera la palme d’or.


On peut bien sûr confronter l’approche de Laurent Cantet de celle des documentaristes qui se sont attachés à décrire l’institution, relativement fermée, de l’école, à faire voir ce qui se passait « entre les murs », comme Frédérick Wiseman qui tourna High School I et II en 1968 et 1994 dans le collège tristement devenu célèbre, Columbine. Wiseman, comme Cantet, ou encore comme Claire Simon dans Récréations (1993), s’intéresse à la réalité sociale de son époque.
Il en est de même dans le feuilleton documentaire La Loi du collège (1994, 6 × 26 minutes), où la cinéaste Mariana Otero filme les élèves, les enseignants, la salle des professeurs et le bureau du principal d’un collège de Seine-Saint-Denis pendant une année scolaire entière. Elle capte les moments forts, mais aussi les petits évènements, les espoirs, les heurts, le malaise des adultes, des enfants, les mesures disciplinaires et les menaces de grève. Ce travail de fond durant toute une année n’est pas sans rapport avec le travail de Laurent Cantet. Pour la cinéaste qui a déjà tourné en prison, il s’agit cette fois de voir comment la loi est inculquée, et le collège est pour elle le lieu évident où ce travail d’apprentissage et d’intégration des lois est fait. Mariana Otero et Laurent Cantet sont deux cinéastes travaillés par la question du groupe, et par la question sociale et politique Pourtant ils n’ont pas de messages à délivrer, de thèse à développer. Tous deux se posent plutôt comme observateurs d’une situation qu’ils tentent de rendre dans sa complexité. Observer comment la loi est énoncée, négociée, pratiquée pour la première. Observer comment la parole circule dans une situation d’apprentissage, mais surtout de pouvoir et d’autorité, pour le second.
Un autre point commun aux deux films : le choix de la même durée (le rythme d’une année scolaire) et du même espace (le collège, comme huis clos). Otero et Cantet ont choisi de donner du temps au temps, l’une en tournant pendant un an, l’autre en étalant des ateliers avec les futurs interprètes pendant un an aussi.
La grande différence réside dans la méthode. Si l’ambition est comparable, la méthode est différente. Pour documenté qu’il soit (cela est largement développé dans la partie III de ce mémoire), ELM est bien une fiction, scénarisée et mise en scène (voir la partie IV). La fiction de Cantet se révéle au fil du film, parce qu’une dramaturgie s’impose doucement, une histoire se dégage, le professeur dérape, l’histoire s’attarde sur quelques personnages, puis se termine sur l’exclusion de l’un d’entre eux. La méthode documentaire de Mariana Otero est plus globale. Elle filme davantage les réunions, les couloirs et la cour. Tout le collège est visé. Cette différence se ressent d’autant plus lorsque qu’on compare les deux films. Elle retrouve dans la qualité des images obtenues. Cantet a beau reconnaitre n’avoir jamais chercher à faire une belle image, ses images sont plus nettes, plus ciselées, que celle d’Otero parce qu’elle, elle n’a pas mis en scène, mais pris sur le vif.

La loi du collège, Mariana Otero
Prenons la fin du premier épisode. Ryad, un élève passionné de danse, a obtenu quelques salles du collège le soir après les cours pour animer un groupe de danse. Mais voilà qu’un soir cela dégénère : une chaise vole par la fenêtre et le principal excédé vient mettre tout le monde dehors et mettre un terme définitif à l’expérience. Mais Ryad refuse de voir tous ses efforts réduits à néant « en un geste, en un acte, un acte de bébé ». Il rappelle les danseurs et exige que le
coupable se dénonce. Son discours est sidérant de maturité, de clairvoyance et de désespoir. Le moment est saisissant, mais formellement les images restent médiocres, envahies au premier plan par les têtes des danseurs de dos. Le visage de Ryad, narrativement au centre de cette scène, apparaît dans le coin supérieur droit, à peine éclairé par moment. Ce plan dure près de cinquante secondes.
Elles ont été conservées tout de même par la cinéaste, car le moment est fort du point de vue narratif. La loi du collège se présente comme un feuilleton documentaire, et qui dit feuilleton, dit progression dramatique. Ce qui a été gardé au montage par Otero, sur les deux cents heures de rush, l’a visiblement été d’un point de vue dramatique. On peut donc dire qu’ici le travail de montage rejoint un travail scénaristique proche de la fiction. Si Cantet transpose la réalité dans la fiction, Otero filme une réalité à partir de laquelle elle construit un récit. Avec Cantet, la fiction s’installe dès les phases simultanées du casting et de l’écriture. Avec Otero, la fiction s’insinue au moment du montage. Cela fait toute la différence entre un film de fiction et un film documentaire.


Ça commence aujourd’hui, de Bertrand Tavernier (1999), raconte les difficultés professionnelles d’un instituteur, interprété par Philippe Torreton, dans un quartier très pauvre de Valenciennes. Comme dans ELM, une partie des acteurs (les enfants, leurs parents) sont non professionnels et recrutés sur place pour interpréter des rôles qui leur sont proches. Mais la différence majeure avec le travail de Cantet, c’est que l’histoire racontée par Tavernier illustre une thèse : l’éducation nationale manque de moyens, surtout dans les quartiers ravagés par le chômage et la précarité. L’état se repose totalement sur les épaules de quelques fonctionnaires qui tantôt se montrent courageux (comme Daniel, l’instituteur joué par Torreton, ou Samia la puéricultrice de la PMI interprétée par Nadia Kaci) et de bonne volonté, et tantôt craquent (la dépression de la collègue de Daniel, la démission de Daniel à la fin du film). L’institution, en ne fournissant ni les moyens supplémentaires dont ces quartiers ont besoin, ni le soutien de la hiérarchie (voir le personnage de l’inspecteur d’académie) risque de voir bientôt ces quartiers imploser. Chez Cantet, contrairement à Tavernier, il n’y a pas de thèse toute faite, seulement des questionnements.

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