mercredi 13 mai 2009

UN CINEMA TRES REALISTE

On appelle réalisme la façon que la fiction a de rendre compte du réel, en fabriquant une réalité vraisemblable, mais qui n’est pas le réel. C’est, pour ce qui concerne les arts et la littérature, une façon de privilégier la représentation exacte, non idéalisée, de la réalité humaine et sociale. Créer un monde qui semble fonctionner naturellement, peut-être encore plus naturellement que la réalité, c’est s’ancrer dans le réalisme. Aristote explique dans La Poétique la manière de faire des fictions – il parle en l’occurrence des tragédies - qui soient réalistes. Il emploie le terme de « vraisemblables ». Pour lui ce qui rend vraisemblable une fiction, c’est d’abord la chronologie sur laquelle repose le récit, ce sont les rapports logiques et temporels de la narration. Pour être vraisemblable, celle-ci doit pouvoir être ramenée à une linéarité, sans que cela n’interdise l’ellipse, les sauts en avant, ou en arrière.

On parlera de réalisme au cinéma, lorsque les spectateurs adhérent à l’univers représenté comme allant de soi, car il demeure dans un contexte vraisemblable, lorsque nous reconnaissons la cohérence de l’univers diégétique échafaudé par la fiction.

Cependant le réalisme au cinéma demeure une chose complexe, car y réfléchir nous pousse à comparer le cinéma avec les autres arts ou modes de représentation, et à conclure, tel que l’a fait André Bazin, que le cinéma est le mode de représentation le plus à même de reproduire la réalité. Or nous ne devons pas oublier que le réalisme n’est pas intrinsèquement lié à la technique du cinéma. Rappelons les impressions de Gorki après avoir assister pour la première fois à une projection de films Lumière en 1896 : « J'étais hier au Royaume des Ombres. Si seulement vous saviez comme cela est étrange. Un monde sans couleur, sans son. Tout ici – la terre, l'eau et l'air, les arbres, les gens – tout est fait d'un gris monotone. Les rayons gris du soleil brillent dans un ciel gris. Les yeux sont gris dans des visages gris, grises aussi les feuilles des arbres. Ce n'est pas la vie, mais son ombre, ce n'est pas le mouvement, mais son spectre muet. J'ai vu le cinématographe Lumière,... »[1] Cette réflexion de Gorki nous rappelle que le réalisme aux premiers temps du cinéma ne va pas de soi.

Il est important de distinguer, comme le propose le manuel Esthétique du film[2], le réalisme des matières de l’expression (images et sons) et le réalisme des sujets filmés. Le premier est lié à des codes cinématographiques qui divergent d’une période à l’autre. « Le réalisme apparaît alors comme un gain de réalité, par rapport à un état antérieur du mode de représentation. Mais ce gain est infiniment reconductible, du fait des innovations techniques, mais aussi parce que la réalité, elle, n’est jamais atteinte. »[3] Le second (le réalisme du sujet) se retrouve par exemple dans les films italiens de l’après-guerre que Bazin a définis comme « néo-réalistes » et avec lesquels le film de Cantet offre des similitudes : tournage en décors naturels, recours à des acteurs non professionnels, scénario se rapportant à des personnages simples (par opposition aux héros à statut extraordinaire), et où l’action se raréfie (par opposition aux évènements spectaculaires), cinéma de peu de moyens donnant plus de liberté au réalisateur. En fait pour les films néo-réalistes italiens, comme aujourd’hui pour Entre les murs, il s’agissait de gommer le plus possible l’institution cinématographique (les studios, les acteurs renommés, …), et d’effacer ainsi les marques de l’énonciation qui disaient : « c’est du cinéma. »

Le réalisme du film s’appuie tout d’abord sur le roman de François Bégaudeau dont le film est une libre adaptation, et qui a surtout servi, selon les affirmations de Cantet, à fournir une matière documentaire au film, un regard de l’intérieur qu’il n’aurait jamais eu même en se mettant au fond d’une salle pendant un an. Dans le roman, c’est aussi le personnage du professeur qui l’a beaucoup intéressé, sa façon d’être avec les élèves. Ensuite le réalisme s’appuie sur une méthode (longue phase de casting simultanée à la réécriture du scénario), des choix de tournage (décors réels, équipe légère), de mise en scène (trois caméras la plupart du temps dans une seule salle de classe), de montage et de mixage (son direct).



[1] Propos de Gorki rapportés p. 28 par NINEY François, L’Epreuve du réel à l’écran Essai sur le principe documentaire, De Boeck Université, 2002.

[2] AUMONT Jacques, BERGALA Alain, MARIE Michel, VERNET Marc, Esthétique du film, Nathan Université, 1983, p. 95 à 100.

[3] Ibid. p.96

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