mercredi 13 mai 2009

Le montage

Le montage

Comme l’a écrit Walter Benjamin, le cinéma permet de voir plus, notamment grâce au découpage effectué dans le réel par le cadrage et le montage. « Entre le peintre et le caméraman nous retrouvons le même rapport qu’entre le mage et le chirurgien, écrit-il en 1935 dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique. L’un observe en peignant une distance naturelle entre la réalité donnée et lui-même ; le caméraman pénètre en profondeur dans la trame même du donné. Les images qu’ils obtiennent l’un et l’autre diffèrent à un point extraordinaire. Celle du peintre est globale, celle du caméraman se morcelle en un grand nombre de parties, dont chacune obéit à ses lois propres. Pour l’homme d’aujourd’hui l’image du réel que fournit le cinéma est infiniment plus significative, car, si elle atteint à cet aspect des choses qui échappe à tout appareil – ce qui est bien l’exigence légitime de tout œuvre d’art- elle n’y réussit justement que parce qu’elle use d’appareils pour pénétrer, de la façon la plus intensive, au cœur même de ce réel. »

Prenons le moment, à 27 minutes du début, où François demande à ses élèves de lire un passage de Journal d’Anne Frank. Khoumba, l’élève interrogée refuse de lire, ce qui déstabilise l’enseignant et crée un moment de tension dans la classe.
Le montage, précis, incisif, montrent en alternance le professeur et ses élèves, non pas dans un champ / contrechamp classique, mais dans une alternance de plans du professeur aux regards allant toujours vers la droite de l’écran, et de plans d’élèves aux regards allant toujours vers la gauche de l’écran. Les caméras, se trouvant toujours du même côté de la salle de classe, donnent au spectateur l’impression d’assister à un matche de tennis. Et c’est bien souvent à un match, un combat, une joute verbale que se livrent les protagonistes. C’est comme si l’énergie des élèves, contenue physiquement par la disposition de la classe qui les contraints à l’immobilité et la position assise, rejaillissait dans leur interventions.
En outre le rythme est rapide, les plans gardés au montage sont très brefs : deux à cinq secondes dans les moments de tension, et cinq à dix secondes dans les moments de répit et de concentration des élèves, par exemple pendant la lecture du Journal d’Anne Frank par Esméralda. Pendant ce moment de calme, la caméra de Cantet capte les détails en se rapprochant encore plus près des corps qui apparaissent en gros plan à l’écran, concentrés sur le texte, sur l’effort que l’exercice de lecture demande, mais aussi mâchonnant un chew gum , distraits, avachis sur les tables (plans 40, 44, 45). A ce moment précis, les images, galerie de portraits très rapprochés, font échos au texte du Journal d’Anne Frank. A l’autoportrait de l’adolescente juive qui se présente comme « un paquet de contradictions », comme une jeune fille qui laisse paraître sa « gaîté exubérante », sa « joie de vivre », tout en dissimulant son « côté plus profond », « plus pur », correspondent les portraits des adolescents de cette classe qui eux aussi sont « des paquets de contradictions ».

Beaucoup d’éléments, initialement prévus dans le scénario on été supprimés au montage : les bons mots issus du livre de Bégaudeau qui passaient mal à l’écran, la lecture en voix off du questionnaire de l’éducation nationale par François, des scènes entières dont l’épilogue final au Mali, parce qu’ils étaient inutiles.

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